lundi 21 juillet 2008

« Extraordinary rendition » : la partie immergée de l’iceberg




Il s’agit d’un procédé extrajudiciaire d'appréhension et de transfert de personnes suspectées d’avoir des liens avec les groupes terroristes qui menacent les États-Unis.

I) Définition
Le terme extraordinary rendition peut être traduit par restitution extraordinaire (extraordinaire parce que peu fréquente selon le gouvernement américain). Le terme regroupe l’enlèvement (à partir du territoire américain ou d’un autre pays) d’individus soupçonnés de terrorisme, leur transfert (le plus souvent en avion) dans un autre pays ou dans un site noir (black sites, prisons secrètes sans existence juridique) comme Guantanamo à Cuba, Bagram en Afghanistan et Abu Ghraib en Irak. La terminologie officielle pour les détenus des sites noirs est détenus fantôme (ghost detainees).
Selon certaines informations, cette pratique est utilisée depuis 1995 dans le cadre de la neutralisation d’Al-Qaïda, d’abord par le président démocrate Bill Clinton puis par l’administration Bush.
Robert Baer ancien agent de la CIA (et auteur du livre La Chute de la CIA - Les mémoires d'un guerrier de l'ombre sur les fronts de l'islamisme dont est inspiré le film Syriana de Stephen Gaghan) a révélé que les procédures étaient autorisées par le directeur de la CIA ou son adjoint, ce qui place la responsabilité très proche du pouvoir politique américain.

II) Pratiques dans le contexte de guerre mondiale contre le terrorisme
Au lendemain du 11 septembre 2001, les autorités américaines ont renforcé leur arsenal légal anti-terroriste. Parmi ces mesures se trouvent le recours aux prisons secrètes ainsi que probablement des clauses autorisant les services de renseignements à utiliser tous les moyens qu’ils jugeront nécessaire pour assurer la sécurité du territoire. Le concept nouveau de sécurité intérieure (homeland security) apparu aux USA après les attentats à servi à justifier de nombreux écarts à la Constitution américaine.
D’après les estimations du Washington Post et d’Amnesty International, plusieurs centaines de personnes sont concernées.
Toujours d’après le Washington Post et Amnesty, le mode opératoire américain est le suivant :
- Le ou les suspects sont enlevés, soit par les autorités locales à la demande de la CIA, soit directement par des agents américains.
- Le ou les suspects sont emmenés en avion dans un pays tiers, soit pour y être transférés dans un autre avion, soit pour y être détenus momentanément.
- Le ou les suspects sont remis aux services de sécurité et/ou de renseignement d’un pays allié des États-Unis pour y être interrogés.
Ce type d’enlèvement est illégal puisqu’il n’entre dans aucune procédure juridique. De plus, les pays d’accueil ou les sites noirs sont réputés pour les mauvais traitements voire la torture des prisonniers.
Les personnes enlevées n’ont, qui plus est, pas le droit à avoir un avocat, et ne peuvent donc pas contester légalement les faits. D’après les témoignages recueillis par Amnesty, des personnes ont été extradées vers des pays où les autorités américaines savaient qu’elles allaient être torturées (il est possible que des agents américains aient participé ou aient été présents lors des interrogatoires) malgré ce que répète la secrétaire d’Etat américain Condoleezza Rice.
De plus, il a été avéré que certaines personnes on été enlevées à la place d’autres parce que leurs patronymes se ressemblaient. Le plus souvent les victimes sont des gens avec des noms arabes et la traduction des noms dans l’alphabet latin serait la source de ces méprises.
Pour un exemple, voir le film Rendition de Gavin Hood basé sur l’histoire vraie de Khalid El-Masri (citoyen allemand) qui a été confondu avec Khalid al-Masri (un membre d’Al-Qaïda).
La justification américaine est qu’il faut obtenir des informations à tout prix, quitte à utiliser des ressources d’autres pays. Le fait de ne pas respecter les règles n’est pas dérangeant puisque les terroristes ne les respectent pas et qu’on leur refuse le titre de prisonnier de guerre (à qui la Convention de Genève devrait s’appliquer) au profit du terme de combattant ennemi (enemy combatant).
La face émergée de l’iceberg est donc la base de Guantanamo Bay où des centaines de personnes sont retenues hors de tout cadre légal, mais la partie immergée est encore plus grande. Elle est composée d’avions à l’immatriculation civile qui sont utilisés pour transférer les prisonniers d’un pays à l’autre sans aucun contrôle, d’équipes d’américains habillés en noir de la tête au pied qui portent des cagoules et qui interviennent dans tous les pays du monde avec ou sans l’accord des autorités locales, et enfin des dizaines peut-être des centaines de personnes qui ont disparues du jour au lendemain.

III) Enquêtes sur le sujet
Le gouvernement américain reconnaît avoir recours aux restitutions hors du cadre légal des extraditions uniquement dans le but de transférer des prisonniers de l’endroit où ils sont capturés vers un pays où ils seront interrogés et traduits en justice. Le gouvernement américain nie avoir recours à la restitution, pour transférer les détenus dans un pays où ils seront torturés, pour fournir des renseignements d’ordre militaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Après la publication d’articles sur le sujet par le Washington Post à partir de 2002, des enquêtes ont été menées par différents organismes. Le Conseil de l’Europe puis le parlement européen ont publié leurs conclusions en 2006. Des ONG comme Human Rights Watch et Amnesty International ont également mené leurs enquêtes principalement à partir des témoignages d’anciens détenus.
Des pays européens comme la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, le Royaume-Uni, le Kosovo et la Roumanie ont mis en place des enquêtes nationales pour vérifier la présence des avions de la CIA sur leurs aéroports.
Ajoutons, pour être complet, que de Manfred Nowak, rapporteur spécial sur la torture aux Nations Unies, a présenté à l’Assemblée Générale un document qui atteste que les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, le Canada, la Suède et le Kirghizstan violent les conventions internationales des droits de l’Homme en déportant des suspect dans des pays comme l’Egypte, la Syrie, l’Algérie et l’Ouzbékistan sachant qu’ils allaient possiblement y être torturés.


Noir : les USA et les sites noirs suspectés.
Rouge : pays où les personnes enlevées auraient été conduites.
Bleu clair : pays qui aurait facilités le transport en accueillant des avions par exemple.
Bleu foncé : pays d’où les personnes auraient été enlevées.
Carte d’après Amnesty International et Human Rights Watch.

Pour conclure, ajoutons comme pour toute stratégie menée par les services de renseignements nous n’en connaissons que les mauvais côté et jamais les réussites. Ainsi le simple fait de ne pas avoir d’éléments positifs a apporter dans le débat pour ou contre cette pratique fait que le débat ne peut exister. Nous pouvons simplement ajouter que choisir entre la vie d’un homme et ses droits les plus fondamentaux doit être mis en regard avec la possibilité de sauver des dizaines, peut-être des centaines de vie innocentes. C’est le rôle des politiques et des dirigeants du monde du renseignement.
Le principal problème et le seul véritablement soulevé par l’opinion américaine sont les erreurs du programme (erroneous renditions), ce genre de méprise est tout simplement dramatique et inexcusable.

Glossaire :
CIA : Central Intelligence Agency (agence centrale de renseignement) il s’agit de la principale agence de renseignement américaine. Elle a été fondée en 1947 par le National Security Act passé par l’administration Truman.
Combattant ennemi : le combattant ennemi dans le contexte de cet article est une personne qui est détenue dans le cadre des pouvoirs de guerre donnés par le Congrès à George W. Bush le 18 septembre 2001. Le 13 novembre 2001, le président Bush a passé un ordre présidentiel militaire (Presidential Military Order: Detention, Treatment, and Trial of Certain Non-Citizens in the War Against Terrorism) et c’est à cette occasion que le terme de combattant ennemi a été choisi.
Détenu fantôme : il s’agit du terme officiel se rapportant aux détenus, dont l’identité est tenue secrète, parce que non enregistrée, qui sont retenus dans les prisons secrète de la CIA ou dans les prisons d’Abu Ghraib en Irak ou de Guantanamo à Cuba.
Sites noirs : il s’agit de la dénomination militaire des centres de détention clandestins contrôlés par la CIA dans différents pays, dont plusieurs États membres de l'Union européenne. Leur existence, soupçonnée par Amnesty International, a été révélée à la fin 2005 par le Washington Post, et officiellement reconnue par le président George W. Bush le 6 septembre 2006.
Sources :
- Wikipédia, l’encyclopédie libre.
- Alain Brossat, « Demandez le programme ! Quelques réflexions sur l’« Extraordinary Rendition Program » », Cultures & Conflits, 68, 2008, [En ligne], mis en ligne le 18 avril 2008. http://www.conflits.org/index5483.html.
- “Rendition” and secret detention: a global system of Human Rights violations; Questions and Answers, Amnesty International, janvier 2006.
- CIA guerre secrète en Europe, Arnaud Muller et Steeve Baumann, Lundi Investigation, Canal+, 11 septembre 2006.
- Robert Baer, La Chute de la CIA : mémoires d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme, Gallimard, 2003.

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