vendredi 26 septembre 2008

Les enjeux de la Birmanie

Un an après la répression de la révolution de Safran par la junte militaire au pouvoir et la libération d'U Win Tin, journaliste birman et membre fondateur de la Ligue nationale pour la démocratie, après 19 années de détention, revenons sur les événements pour voir quels sont encore les enjeux géopolitiques liés à se pays.


La Birmanie (officiellement Myanmar) est le plus grand État d’Asie du Sud-est, voisin de la Chine, de l’Inde, le Laos, le Bangladesh et de la Thaïlande.

I) Histoire au XXème siècle

Le pays a été une colonie du Royaume-Uni duquel il a pris son indépendance en 1948. Il quitte également le Commonwealth et le premier ministre U Nu instaure une démocratie parlementaire.

Mais en 1962, le général Ne Win organise un coup d'État militaire qui va lui permettre de prendre le pouvoir. Il va régner pendant jusqu’à la tenue d’élections libres en 1990. Il va introduire des reformes socialistes mais garde son pays dans le camp des non-alignés.

En 1988, le 8 août, l’armée, confrontée à un mouvement de protestations dénonçant la précarité économique et le caractère non démocratique du régime, la junte militaire l’écrase violement et tire sur la foule. Une des conséquences indirecte de ce soulèvement est la tenue d’élections libres en 1990.

Entre temps, le régime change le nom du pays en Myanmar, en 1989, mais de nombreux pays ne reconnaissent pas ce nom (ce qui reviendrait à reconnaître le régime).

Ces élections voient la victoire de la National League for Democracy (Ligue nationale pour la démocratie) dirigée par Aung San Suu Kyi qui aurait due devenir premier ministre mais les élections sont annulées par la junte et elle est faite prisonnière.

Aung San Suu Kyi recevra le prix Nobel de la Paix l’année suivante, en 1991.

Le président actuel, le général Than Shwe, prend le pouvoir en 1992 et amorce en 1993 la réécriture de la constitution écrite en 1974.

En 1997, le pays rejoint l’ASEAN (Association of South East Asian Nations, Association des nations de l'Asie du Sud-est).

Le 7 décembre 2005 la capitale est transférée du jour au lendemain de Rangoon à Pyinmana, au centre du pays. La ville est renommée Naypyidaw (Ville royale ou Demeure des Rois). Une légende voudrait que le président ait changé la capitale sur les conseils d’une diseuse de bonne aventure (le général est connu pour être superstitieux) mais certains analystes considère que c’est plus probablement pour se mettre à l’abri. En effet, la nouvelle capitale étant plus à l’intérieur des terres que Rangoon, elle est moins exposée à une éventuelle attaque américaine ou d’un autre pays, mais également moins soumis aux intempéries.


II) Evénements récents :


1) La crise de l'automne 2007 : La révolution de Safran

La Birmanie est venue sur le devant de la scène internationale en automne 2007 à cause des manifestations de l’opposition et de la répression sanglante qui a suivit.

Après une augmentation du prix de l’essence, des transports et de la nourriture ainsi que des produits de première nécessité, des manifestations s’organisent à travers le pays. Les moines bouddhistes sont rejoins par les habitants des grandes villes du pays.

Dès le 26 septembre, la répression militaire commence, les autorités coupe le pays du monde extérieur, supprime les connexions Internet, coupe les lignes téléphoniques.

Repassons rapidement les événements en revue :

Le 5 septembre 2007, les troupes militaires interviennent pour empêcher une manifestation pacifique à Pakokku et blessent trois moines.

Le 22, 2.000 moines manifestent à Rangoon et 10.000 à Mandalay.

Le 24, entre 30.000 et 100.000 personnes manifestent à Rangoon et le Dalaï Lama apporte son soutient aux moines qui manifestent.

Le 25, la junte positionne des camions de l’armée aux points de rassemblement des moines. Les habitants forment un bouclier humain pour protéger la manifestation des moines.

Le 27, un raid de la junte dans les monastères lui permet d’arrêter 700 moines. Ce même jour 50.000 personnes manifestent à Rangoon et neuf personnes sont tuées y compris un journaliste japonais, Kenji Nagai.

Le 28, tous les accès Internet sont bloqués.

Le 30, l’envoyer spéciale des Nations Unies, le diplomate nigérian, Ibrahim Gambari rencontre la chef de l’opposition Aung San Suu Kyi.

Le 20 octobre le couvre-feu est levé.

Selon la chaîne d’information américaine ABC, la répression par la junte a fait des milliers de morts même si les chiffres officiels restent de 13 morts. Le 7 octobre la chaîne d’information qatari Al Jazeera rapportent que au moins 1.000 personnes ont été arrêtées, cette information est celle du média d’Etat birman et les chaînes étrangères rapportent plus de 6.000 emprisonnements.


2) Le Cyclone Nargis et ses suites

Les 2 et 3 mai 2008, un typhon, Nargis, dévaste le delta de l’Irrawaddy dans le sud du pays. Un mois plus tard, les autorités reconnaissent 133.600 morts ou disparus ainsi que 2,4 millions de sans-abri.

Alors que les services de météorologie birmans savaient que le cyclone arrivait une semaine avant celui-ci. Le gouvernement n’a prévenu la population que la veille du cyclone.

Alors même que la télévision du régime diffusait en boucle les images de soldats nettoyant les rues et distribuant des vivres, l’armée, la police et les pompiers, manquant d’expérience n’ont pas venir en aide à tous les sinistrés. Cela s’explique par le fait que populations des villes sinistrées ont été assez bien prise mais la majorité des victimes se situe dans des petits villages du delta très difficiles d’accès.

Le lundi 5 mai, la junte a lancé une demande d’aide internationale mais seul le matériel semblait être le bienvenu. Le régime ne voulait pas que les bénévoles étrangers débarquent sur leur territoire pour constater leur incompétence.

Ainsi plusieurs avions de ravitaillement et de matériel d’urgence américain, indien et chinois ont put atterrir mais devait débarquer le contenu de leur soute avant de repartir.

Ce premier refus politique fut suivie du maintient du référendum sur la nouvelle constitution birmane qui a été maintenu au 12 mai et repoussé au 24 dans certaines régions sinistrées. La victoire du oui revendiqué par la junte et dénoncé par l’opposition, permettra au gouvernement en place de se maintenir lors des élections de 2010.

Le 19 mai l’ASEAN avait tenté de mettre en place un mécanisme permettant la distribution de l’aide mais il n’a pas été concrétisé à cause du refus de la junte.

Les 31 mai et 1er juin, lors d’une conférence sur la sécurité en Asie à Singapour, la communauté internationale a déclaré sont exaspération devant le refus d’ouverture du pays par la junte. Le ministre de la défense américain, Robert Gates, l’a qualifié de « négligence criminelle » et que le refus de l’aide a coûté des « dizaines de milliers de vies ».

A l’heure où nous écrivons ces lignes, début juin 2008, la situation est toujours bloquée. L’aide apportée par la communauté internationales et les ONG transite majoritairement par les pays voisins comme la Thaïlande puisque la junte refuse l’accès des eaux territoriales aux navires venues apporter des cargaisons représentant l’équivalent de ce que transporte une trentaine d’avions. Le transport est effectué par le Programme Alimentaire Mondial (PAM).



III) Enjeux économiques

La Birmanie est très peu industrialisée, la population est majoritairement rurale. La culture d’opium est d’ailleurs abondante et encouragée par le régime. Par ailleurs l’Organisation Internationale du Travail (l’OIT) souligne en 1998 que le travail forcé est monnaie courante dans le pays.

Ce pays n’est donc pas riche mais son sous-sol l’est. En effet, le pays abrite d’importantes réserves de pétrole et de gaz. La compagnie française Total exploite un champ gazier off-shore de Yadana, dont la production alimente une centrale électrique à Rangoon mais surtout, va à la Thaïlande. En effet, la Thaïlande importe 20% de son gaz de Birmanie. Total continue malgré les sanctions de l’Union Européenne et les actions en justice intentées contre elle en Belgique et en France. Total est notamment accusée d’avoir cautionner que la junte utilise des travailleurs forcés pour la construction de son pipeline. Certains experts considèrent que Total est responsable des violations des droits de l’Homme qui sont liés à la construction du pipeline.

La Birmanie possède également une petite production pétrolière à terre qui est exploitée par la compagnie nationale Burmah Oil Company qui a été crée en 1896 et dont le principal actionnaire et la British Petroleum (BP).

Le pétrole est exporté vers la Chine et vers l’Inde. Ces deux pays vendent des armes à la junte pour assurer la stabilité régionale.

Enfin malgré les violations des droits de l’Homme et le caractère totalitaire du régime, la Birmanie est une destination touristique appréciée par les chinois et le japonais. Il y a ainsi environ 200.000 voyageurs par an. L’opposition voit dans le tourisme un soutient financier à la junte puisque les structure des ce secteur est entre les mains de la dictature et de ses sympathisants.

A travers sa mainmise sur tous les secteurs économiques, la junte assurent sa crédibilité et sa survie sur le plan international. Tant que les groupes internationaux, les compagnies d’Etats et les gouvernements feront du commerce avec elle sans se soucier des atteintes au droit de l’Hommes, la junte aura encore de beaux jours devant elle.


IV) Analyses et perspectives

Comme nous venons de le voir, le régime militaire tire sa légitimité de son implication dans l’économie régionale. Mais le caractère non démocratique pose de nombreux problèmes à la communauté internationale. Le pays était censé prendre la présidence tournante de l’ASEAN en 2006, mais la pression internationale l’en a empêchée.

Le soutient militaire de Pékin et de l’Inde sont également dérangeant. Les deux pays vendent des armes à la junte pour garder la stabilité de la région. Par ailleurs, il est possible que la Chine ait installée une station d’écoute électromagnétique en Birmanie.

L'Union Européenne a décrété un embargo sur l’exportation d’armes en Birmanie en 1988, les États-Unis en 1993. La mesure a été renouvelée en 2002 et 2006 par les deux entités politiques. Mais une enquête d’Amnesty International, en 2007, a révélée que des armes contenant de la technologie américaine et européenne ont été vendues à la junte par l’intermédiaire de l’Inde.

Aung San Suu Kyi à la suite de ses entretiens avec l’envoyer de l’ONU s’est montrée plutôt optimiste quand à la résolution de la crise.

Il faut savoir également qu’entre le 11 et le 16 janvier 2008, quatre bombes ont explosé dans des lieux publics tuant trois personnes et le 20 avril, deux bombes ont explosé dans Rangoon sans faire de victimes.

Ainsi l’avenir de la Birmanie est bien le Myanmar et la junte militaire. Les révoltes qui ont eues lieu au cours de l’automne 2007 et maintenant la possible apparition d’un terrorisme nationaliste ne changerons pas la vision politique du gouvernement en place.

A moyen terme le pays est prisonnier de ces engagements économiques avec ses puissants voisins. Le soutien chinois, sans faille, est le plus à craindre surtout aux vues des événements tibétains.

A plus long terme, la Birmanie, comme beaucoup de pays de la région (et y compris la Chine) doit se préparer à faire face à un mouvement populaire de protestations.

Les valeurs occidentales des droits de l’Homme véhiculés par les médias et les diaspora, ainsi que les exigences d’augmentation du niveau de vie vont prendre le pas sur le dirigisme actuel de beaucoup de gouvernements asiatiques. Les catastrophes naturelles qui ont touchées la région, cyclone en Birmanie et tremblement de terre en Chine vont probablement accélérer le processus.

A long voire moyen terme la Birmanie va connaître de nouvelles manifestations à caractère plus révolutionnaire encore.


Glossaire :

ASEAN : l’Association des Nations de l'Asie du Sud-est (ANASE ou ASEAN) est une organisation politique, économique et culturelle regroupant 10 pays d'Asie du Sud-Est. Elle a été fondée en 1967 à Bangkok (Thaïlande) par cinq pays non alignés.

Dalaï Lama : c’est le plus haut chef spirituel du Tibet reconnu par les habitants et il est devenu le chef temporel du gouvernement du Tibet à partir du XVIIème et jusqu'à la première moitié du XXème siècle, puis chef du gouvernement tibétain en exil encore de nos jours.

OIT : Il s’agit d’une institution spécialisée des Nations Unies qui a pour but de promouvoir le travail décent dans le monde. Son siège est à Genève (Suisse).

Programme Alimentaire Mondial (PAM) : C’est l'organisme d'aide alimentaire de l'ONU. Plus grande organisation humanitaire du monde, le PAM fournit principalement de la nourriture aux personnes souffrant de la faim. En moyenne, chaque année, le PAM nourrit 90 millions de personnes dans 80 pays, dont 58 millions d'enfants.

Station d’écoute électromagnétique : Il s’agit d’une installation de renseignement qui a pour but d’intercepter les communications radio, téléphonique, satellite et autre par des antennes situées à des endroits stratégiques.


Sources :

Sylvie Kauffmann, « Ménagée par la Chine et l'Inde, la junte birmane reste sourde aux critiques internationales », Le Monde (en ligne), 3 juin 2008.

Brian McCartan, « Une armée formée pour réprimer, pas pour aider », Asia Times Online cité par Courrier International, 9 mai 2008.

Fred Hiatt, "In Burma, democracy’s price can be life", The Washington Post, June 2005.

Michael Green and Derek Mitchell, "Asia's Forgotten Crisis A New Approach to Burma ", Foreign Affairs, November/December 2007.

Lee Hudson Teslik, “The ASEAN Bloc's Myanmar Dilemma”, Council on Foreign Relations, October 2, 2007.

« Le chef de la junte birmane serait prêt à rencontrer Aung San Suu Kyi », Le Monde (en ligne), 4 octobre 2007.

Jean-Claude Courdy, L’épine birmane, geopolitis.fr, 10 avril 2005.

Bernard Kouchner, Relation d’un voyage et de la découverte d’une industrie muette, 29 septembre 2003.


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